Les hommes du 140e RI pendant la guerre de 14-18





JOURJON Jean-Baptiste

Jean-Baptiste Jourjon (cl.15) de Villars, versé au 140e R.I. Alpine en janvier 1916, est enterré par un obus à Verdun, vers Fleury, le 20 août 1916, et en informe sobrement sa fiancée Claudine, dans une carte postale rédigée avec son orthographe très déficiente, et envoyée le 23 août de l’hôpital de Vittel :

« Pour mois* sa* vat* pas plus mal pour le moment je suis a* l’hopital voillar* 3 jours que je suie* est* tes* bléser* tu doit* bien le savoire* des* jat * jay* écrie* a* ma mère au promier* a bore* que je suie* rentrés* a* l’hopital mais ma blessur* est pas bien grave sasera* rien pour sètte* foit* je suie est* touchéèr* a* se* terible* Verdun tu doit* bien voire* que sure*les journaur* sa* y fait pas jolie* je suis est* tes*en* terrés* par un grot* obut* jit* suie* rester * 4 heure* dans terre jait* tais* dans se* petit village de Fleury en fin* pour le moment je sie* a* la prie* des bales* est* des obut* Je suis coucher* dans un bon lit je suie* dans les Vosges a* l’hopital »

Traduction :
« Pour moi, ça va pas plus mal, pour le moment, je suis à l’hôpital. Voilà trois jours que je suis été blessé. Tu dois bien le savoir déjà : j’ai écrit à ma mère au premier abord que je suis rentré à l’hôpital. Mais ma blessure est pas bien grave, ça sera rien pour cette fois. Je suis été touché à ce terrible Verdun. Tu dois bien voir sur les journaux que ça y fait pas joli. Je suis été enterré par un gros obus ; j’y suis resté quatre heures dans (la) terre. J’étais dans ce petit village de Fleury. Enfin, pour le moment, je suis à l’abri des balles et des obus. Je suis couché dans un bon lit, dans les Vosges, à l’hôpital. » 
Claudine a-t-elle été rassurée par une telle lettre, qui tente d’apaiser son inquiétude, mais qui livre sur la guerre « à ce terrible Verdun » des informations bien alarmantes pour une fiancée ?
 
Un  courrier, de deux ans postérieur, nous fait pénétrer dans l'intimité d'un autre combattant; on ne connaît pas le contenu du colis, mais son contenu alimentaire est clair ("pour avoire* pour manger") et il exprime avec de pauvres mots frustes et émouvants la joie de recevoir un colis, signe tangible qu'on ne l'oublie pas. Il s'agit d'une carte envoyée le 8 novembre 1916 par Jean-Baptiste Jourjon (cl. 15), de Villars soldat au 140e R.I., à sa fiancée Claudine, de Villars aussi:

"Le 8 Novembre 1916
Bien chèr Amie Claudine Je fait réponse a ta carte que mat mère ta fait faire pour mat nonsé mon colie qui mat bien fait plaisire de la resevoire est pour avoire pour manger. Je te remère sit bien chèr Claudine davoire fait la dresse pour mant voiller mont colie. Je voie que tu pense an core a mois au pauvre combatemps de Françe. Quat présent je sait plus conne je vit on sèt pas sit on nès dimanche ou semaine, on nès conne les baite, ille lache plus de pleus voire…"
Traduction:
"Bien chère Amie Claudine, Je fais réponse à ta carte que ma mère t'a fait faire pour m'annoncer mon colis qui m'a fait bien plaisir de la recevoir, et pour avoir à manger. Je te remercie, chère Claudine, d'avoir fait l'adresse pour m'envoyer mon colis. Je vois que tu penses encore à moi, au pauvre combattant de France. Alors qu'à présent, je ne sais plus comme on vit, on sait pas si on est dimanche ou semaine, on est comme les bêtes, il lâche plus (n'arrête pas) de pleuvoir."

 
Si la mère de Jean-Baptiste a fait rédiger l'adresse sur le colis par la "bonne amie" de son fils, c'est sans doute qu'elle ne sait pas écrire. On a pu voir à quel point ce fils, bien que sachant écrire, maîtrise mal orthographe, syntaxe et lexique. En quelques mots, cette lettre résume l'état d'esprit du "pauvre combattant de France" dans sa tranchée: subordination au temps qu'il fait, perte des repères temporels – notamment parce que le dimanche n'est plus marqué par l'arrêt du travail, la messe, et le divertissement- , amertume d'être ravalé au rang de bête, mais réconfort de se savoir aimé par deux femmes, sa mère et sa promise.

Sources : AD 42



Jean-Baptiste Jourjon (cL. 15) de Villars, dont la profession reste incertaine (aurait été employé à la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne) incorporé au 140e R.I. de Grenoble, qui considère, ce qui peut apparaître paradoxal voire tout à fait illogique à qui n'a pas vécu cette guerre, que les conditions climatiques sont presqu' une pire épreuve que les bombardements et l'assaut.
Il écrit au crayon le 28 octobre 1917 à sa fiancée Claudine, à Villars, la carte suivante que nous citerons in extenso, et que nous traduirons ensuite, car son orthographe très déficiente et sa ponctuation inexistante en rendent souvent la compréhension difficile:
"Le Front, le 28 octobre 1917
Ma Bien Chèr petite Claudine a près avoir fait une terible Bataille je te fait réponse de suite pour te domèr de mèt nouvèlle quit son très bonne pour le moment mèt sat pourèr a les mieux voilà quèlque jours qu'on soufre bien du froit le tamp marche bien mal ou je suis ille pleus a tout moment est a présent que mont régimant est mois nous some tous an gagès dans le comba mais je croi bien et tre relevèr hièr est puis ille y a hut ordre qu'on trère le plus qu'on nà soufaire sait du froit au piée toujours les piées dans lau est toujours tranpe de la pluis pour pouvoire se changer je peus pas qu'on prandre Comme lomt peus tenire et comme on grève pas touse a faurese de se trènèz le vantre par terre on nèt pas Comme des Cochon mèt encore plus sale je panse que quant on se rat relevèr saserat pour a les un peus au repos pour une dixème de jours chèr Claudine je croie que…"(fin de la carte, la suite ayant dû être écrite sur une feuille de papier qui a été perdue par Claudine)

Traduction:
"Ma bien chère petite Claudine
Après avoir fait une terrible bataille, je te fais réponse tout de suite pour de donner de mes nouvelles qui sont bonnes pour le moment, mais ça pourrait aller mieux. Voilà quelques jours qu'on souffre bien du froid, le temps marche bien mal où je suis: il pleut à tout moment et à présent que mon régiment et moi nous sommes engagés dans le combat (mais je crois –croyais- être relevé hier, et puis il y a eu ordre contraire). Le plus qu'on a souffert, c'est du froid aux pieds: toujours les pieds dans l'eau et toujours trempés de la pluie pour pouvoir se changer (changer de vêtements). Je peux pas comprendre comment l'on peut tenir et comment l'on crève pas tous à force de se traîner le ventre par terre! On n'est pas comme des cochons, mais encore plus sales! Je pense que quand on sera relevés, ça sera pour aller un peu au repos pour une dizaine de jours. Chère Claudine, je crois que…"

Cette lettre, comme d'autres, montre qu'il faut relativiser l'assertion de nombre d'historiens selon laquelle, dans son courrier, on cacherait systématiquement ses maux à ses proches pour ne pas les inquiéter: certains soldats dissimulent, ou atténuent, d'autres décrivent la réalité, et ce partage doit les soulager…
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